Beaucoup aimer Oncle Sam
Je suis entré dans un bar pas loin, dans Kearny Street, pour téléphoner de leur cabine. L’endroit était désert, à l’exception du barman et d’une grosse dame en train de téléphoner. Elle ne parlait pas. Elle était juste là, debout dans la cabine, à faire oui de la tête à une personne qui se trouvait à l’autre bout du fil.
J’ai décidé de boire une bière en vitesse sur mon billet de cinq dollars tout neuf en attendant qu’elle termine sa communication. Je me suis assis sur un tabouret et le barman est venu vers moi de l’autre côté du bar. Il avait l’air tellement banal qu’il était pratiquement invisible.
« Ce sera quoi ? dit-il.
— Une bière, c’est tout, j’ai dit.
— Feriez mieux de la boire en vitesse, dit le barman. Les Japonais seront peut-être ici avant la nuit. » Il a dû trouver ça très drôle : il s’est mis à rire de bon cœur de son « astuce ».
« Les Japonais adorent la bière », dit-il, en continuant à rire. « Dès qu’ils vont être arrivés, ils vont boire jusqu’à la dernière goutte toute celle qu’il y a en Californie. »
J’ai regardé la grosse dame qui hochait la tête de haut en bas comme un canard. On aurait dit qu’elle venait d’entamer sa conversation téléphonique et qu’elle en avait encore pour des années.
« Annulez la bière », j’ai dit au barman. Je me suis levé de mon tabouret et j’ai pris la direction de la sortie. Ça faisait des semaines que je n’avais pas bu de bière et je n’avais pas envie qu’un barman complètement timbré vienne me gâcher mon plaisir.
J’ai l’impression qu’il avait quelques cases de vides dans la tête. Pas étonnant que son bar soit désert, à part la grosse dame en train de se mettre à la colle avec son taxiphone.
Je vous déclare maintenant téléphone et femme.
« Jusqu’à la dernière goutte », dit le barman en riant alors que je passais la porte pour ressortir dans Kearny Street ; j’ai presque renversé un Chinois en sortant. Il passait dans la rue et en sortant je lui suis pratiquement rentré dedans. Nous avons eu peur tous les deux, mais il a eu plus peur que moi.
Il avait un paquet sous le bras quand nous sommes entrés en collision. Il a jonglé quelques secondes avec et il a réussi à le rattraper avant qu’il ne tombe sur le trottoir. L’incident l’a beaucoup remué.
« Moi pas Japonais » ; il s’est tourné vers moi en se hâtant de poursuivre son chemin : « Amélicain d’oligine chinoise. Beaucoup aimer dlapeau. Beaucoup aimer Oncle Sam. Pas d’ennuis. Moi Chinois. Moi pas Japonais. Tlès loyal. Moi payer impôts. Moi pas fout’le nez dans oignons des autles. »